A ma fille...

Tu n'as pas encore deux mois et je t'écris aujourd'hui cette lettre qui, j'espère, parviendra jusqu'à toi quand tu seras grande. En effet, nul ne sait aujourd'hui si je serais là pour te parler de ce qui s'est passé de mon temps, comment le monde a changé et comment nous avons lutté.

L'espèce humaine, de la famille des primates, a évolué vers la conscience et la technologie tout en gardant ses instincts primitifs que sont la concurrence pour la reproduction et la conquête et la défense de son territoire. De là est arrivée les deux malheurs de l'humanité, la domination de ses congénères et la domestication de la nature. Les civilisations se sont succédées mais ces fléaux sont restés au coeur du système : les esclaves sont devenus serfs puis tâcherons puis salariés et enfin précaires ; la nature a été exploitée, les richesses naturelles ont été pillées, les éco-systèmes ont été peu à peu détruits, la disparition massive d'espèces vivantes a déjà commencé.

La révolution française n'a-t'elle pas permis l'apparition de la démocratie ? Rien n'a vraiment changé : les nobles ont laissé leur place aux notables. On me dira : « Les ouvriers ont pris le pouvoir dans certains pays ! » Oui, mais là encore, nous avons assisté à l'apparition d'une nouvelle classe sociale, hauts-fonctionnaires et militaires, qui ont confisqué le pouvoir et écrasé les masses. Des partis dits socialistes et démocrates ne sont-ils pas arrivés au pouvoir ? Là encore est apparue une classe de notables de gauche, la « gauche-caviar » qui ne représente plus qu'elle-même.

Quelle espoir aujourd'hui pour une réelle démocratie ?

Auto-satisfaite par une absence d'alternative, les capitalistes dogmatiques nous ont inventé une forme absolument perverse de leur système, le néolibéralisme. Ce nouveau dogme s'appuie sur un double subterfuge. Le premier est que la liberté de circulation des capitaux à travers le monde serait LA liberté (qui pourrait être contre la liberté ?). Le second est que la démocratie est par nature capitaliste et que, hors le capitalisme il n'y a point de démocratie. De là nait la pensée unique : tout opposition au néolibéralisme est forcément totalitaire. La transformation sociétale est en marche, les conséquences de cette nouvelle civilisation sont déjà présentes : régression sociale, augmentation des inégalités, précarisation généralisée, industrialisation de l'agriculture et de l'alimentation, destruction de l'environnement. Devant tant d'injustices, des résistances sont apparues, mais aussi de nouvelles formes de violence et de délinquance. Il n'en fallait pas tant pour légitimer la venue d'une société sécuritaire. Et là, bafouer les libertés n'est pas un problème.

Voilà d'où vient la nécessité de mon engagement, à travers les Collectifs Unitaires Anti-Libéraux d'abord, puis, après leur échec, dans les Comités Bové et la Gauche Alternative. Cet engagement, je le sens comme une dette envers les générations futures, envers toi et ta possible descendance. Si l'alternative ne devient pas crédible, c'est une démocratie de façade qui nous restera et quelques financiers gouverneront le monde, s'il n'ont pas détruit la planète avant. Je perçois déjà la cause de nos échecs : toujours et encore la question de la domination, celles des personnes qui dirigent les anciens partis, celle des partis qui, comme tout système, luttent pour leur survie avant de lutter pour un projet. Tout l'enjeu de la création d'un nouveau mouvement est là dedans.

Pourtant, j'ai aujourd'hui encore l'espoir, l'espoir que les citoyens ayant pris conscience de ce qui se passe se retroussent les manches, aident leurs concitoyens à ouvrir les yeux et que tous se mobilisent enfin pour mettre en oeuvre une alternative au néolibéralisme, pour créer une nouvelle civilisation vraiment démocratique, égalitaire et respectueuse de l'environnement. C'est le devoir de notre génération. Sinon, il ne restera plus qu'à la tienne de vraiment entrer en résistance...

Alterlibertaire.