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2 février 2009

Le progrès, pour quoi faire.

Après avoir abordé à la base les notions d’épargne et d’investissement, il me semble nécessaire de faire une pause pour remettre en place une notion essentielle dans les développements des sociétés, mais dont les différents aspects sont rarement traités. Il s’agit de la notion de progrès.

Ces dernières années, de nombreux militants se sont élevés contre l’énergie nucléaire, la culture des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) en plein champ, le développement à tout crin d’appareils de plus en plus performants.  A ces militants, les partisans du « développement » affirment régulièrement : « Vous êtes contre le progrès » ou « si on vous écoutait, on en serait encore à l’age de pierre ».

Devant de telles affirmations, il convient de mieux cerner cette notion de progrès, assimilée au bien absolu.

Le progrès, c’est la conséquence de la progression. Je fournirais une définition qui me semble peut contestable :

Le progrès, c’est pouvoir faire un jour ce qu’on ne pouvait réaliser la veille. 

Avec cette définition, notre pêcheur, héro malgré lui de mes questionnements économiques, se retrouve être un homme de progrès. Il dispose d’un filet, objet nouveau, qui n’existait pas précédemment. Les conséquences de l’utilisation de son filet constituent elles aussi un progrès. Il peut pêcher de quoi manger en peu de temps, tandis qu’avant, il lui fallait de longues heures pour parvenir à ce même résultat.

Le progrès a-t-il une valeur morale ? Ceux qui y sont favorables représentent-ils le bien, le mieux, le moderne, face aux autres ?

explosion_atomiqueDonner une valeur morale nécessite de confronter ce progrès à l’être qui dispose de telles valeurs, c’est-à-dire l’homme. On ne peut donc échapper à l’analyse des conséquences du progrès, son empreinte sur l’homme ou sur ce qui constitue une valeur à ces yeux.

Dans le cas du pêcheur quelles peuvent être les conséquences de l’invention du filet ?

A priori, le progrès est positif.. Le pêcheur se fatigue moins et il fait vivre sa famille comme avant, mais avec la peur de la mauvaise pêche en moins.

Première déviance de l’utilisation du progrès : plus de confort.

Mais le pêcheur, humain par nature, peut modifier son rapport à l’environnement. Il peut décider d’améliorer la qualité gustative de son alimentation, ainsi que la facilité de la consommer. Pour ça, il sera amené à utiliser les meilleures parties du poisson, celles qui ont le moins d’arêtes et sont les plus charnues. Pour parvenir à ces fins, il devra pêcher plus de poissons, et produira plus de déchets. Ces déchets pourront être donnés à des membres du village, mais cela viendra alors en dépréciation de ce qu’ils avaient avant. Sinon, ils devront être réintégrés dans la nature. De tout façon, l’invention du filet aura produit, selon cet exemple, une sur pêche, c’est-à-dire un prélèvement sur la nature au-delà du nécessaire. En cas de ressources limitées mais suffisantes, cela revient à mettre en danger un équilibre naturel des ressources. Moralement, on pourra dire qu’il y a spoliation du possesseur du filet envers les autres pêcheurs.

Deuxième déviance de l’utilisation du progrès : l’effet de mode.

La modification de la façon de s’alimenter peut s’accompagner d’un effet de mode. Chaque pêcheur peut vouloir reproduire chez lui ce qu’il considère comme un plus chez le pêcheur inventeur. En conséquence, il devra fabriquer un filet, où l’acheter, puis sur pêcher à son tour.

Car si le voisin ne consomme que des beaux morceaux, lui aussi, parce qu’il vaut autant que l’autre, veut manger des beaux morceaux. C’est l’effet « l’Oréal – parce que je le vaux bien. » Compter sur l’envie et le besoin de faire valoir son ego pour provoquer l’acte d’achat.

L’effet de mode revient à multiplier les quantités pêchées, les déchets produits, et amorce une spirale du « toujours plus que l’autre », préjudiciable aux bonnes relations. C’est un déliteur social.

Troisième déviance de l’utilisation du progrès : la propriété, garant de la stratification sociale.

L’inventeur du filet peut tout à fait vouloir protéger son nouveau statut de « gourmet ». En ce cas, il aura tout intérêt à empêcher les autres pêcheurs d’y accéder. Une solution toute trouvée : le droit de propriété intellectuelle. Non seulement il affirme que le filet lui appartient,(c’est lui qui l’a fabriqué) mais en plus, il affirme que lui seul peut décider de la fabrication d’autres filets. Ainsi, grâce à son invention et à l’utilisation qu’il en fait, le pêcheur se maintient dans un statut qui suscite l’envie mais auquel les autres ne peuvent accéder. Actuellement, nous retrouvons cela dans l’existence des marques qui sont des marqueurs sociaux et dont la valeur est plus liée au nom du créateur (propriété intellectuelle) qu’à la qualité ou au prix de revient du produit.

Quatrième déviance de l’utilisation du progrès : la domination.

La possession de filets  permet une démultiplication de l’efficacité humaine. Notre cobaye pêcheur peut mettre son filet à disposition de tout le monde, gratuitement. Mais il peut aussi s’en servir pour pêcher plus et remplacer progressivement le travail de pêche des habitants. Il aura besoin de la force de travail de quelques habitants qu’il démultipliera grâce à son invention. En contrepartie, il leur fournira un revenu qui leur permettra de s’alimenter comme précédemment. La quantité pêchée sera largement supérieure à celle dont lui et ses pêcheurs auront besoin. l’excédent pourra être écoulé localement. Si les prix sont suffisamment faibles, cela conduira à dévaloriser le travail des pêcheurs indépendants. Certains d’entre eux préféreront arrêter de pêcher et chercheront une autre activité qui leur permettra d’acheter ce poisson devenu si peu cher. Les ventes de poissons réalisées par le pêcheur inventeur lui permettront de dégager des excédents, renforçant sa fortune. Tous ces changements modifient profondément les habitudes de vie des pêcheurs. On retrouve de fait 4 groupes

le pêcheur traditionnel, qui voit de nouvelles productions arriver mais qui n’a pas d’argent pour les acheter. il se contente de manger ce qu’il pêche.

L’artisan commerçant, ancien pêcheur qui a quitté son métier pour essayer de gagner plus.

L’ouvrier, ancien pêcheur qui vend sa force de travail au patron pêcheur. L’ouvrier est celui qui permet l’utilisation du progrès, mais ne possédant pas l’outil, il n’en tire aucun avantage.

Le patron pêcheur, bénéficiant en totalité du progrès et l’utilisant pour structurer l’environnement social selon ses besoins.

Cinquième déviance de l’utilisation du progrès : les dommages collatéraux.

De nombreuses inventions ont été détournées de leur utilisation initiale pour répondre à des fins très discutables.

- la poudre, feu d’artifice au départ

- la recherche génétique, qui permet la création d’organismes non contrôlables, la sélection eugénique, …

- la connaissance nucléaire, qui a donné la bombe atomique, Tchernobyl et tant d’autres.

A qui appartient le progrès ?

Une découverte est le résultat d’une culture particulière confrontée à un environnement donné.

La révolution industrielle du XIXème siècle n’aurait jamais eu lieu sans le développement de l’esprit scientifique duv_lo_en_ville XVIIème siècle. Ce même esprit n’aurait jamais existé sans les grandes découvertes, qui menèrent des philosophes à se poser de nouvelles questions sur l’homme et la nature, sans l’invention de l’imprimerie qui permit un formidable essor des livres et de l’échange des connaissances. Mais ces inventions et découvertes sont le fruit de la Renaissance, elle-même conséquence des échanges culturels entre monde musulman et monde chrétien et qui permirent la redécouverte de la culture grecque par les européens.

Alors, à qui appartient le progrès ? Je pense que nul ne peut s’approprier ce qui, pour l’essentiel est un patrimoine commun. En ce sens, la propriété intellectuelle n’a aucune raison d’être. Il en fut longtemps ainsi. Qui paya des droits à Mozart, à Galilée, à Descartes ou à Bernard de Ventadour ?

Alors, pour ou contre le progrès.

On a bien vu que la question se pose en terme d’utilisation. Tout progrès nécessite des garde-fous quant à son utilisation. N’oublions jamais que ce qu’on appelle progrès est souvent une invention encore plus performante pour détruire l’environnement : pesticides, engrais, bombe nucléaire, …

Les utilisations du progrès ont toutes des conséquences pour l’ensemble des sociétés. C’est pourquoi son utilisation relève du domaine public et que la compétence d’analyse doit être développée au sein des services publics.

Le vrai progrès réside dans la capacité de l’homme à utiliser son intelligence dans l’intérêt de toutes et de tous. Et dans ce domaine, il y a énormément à inventer.

Jean Philippe Parmantier

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Commentaires
C
Il est bon d'ajouter une lecture à tout cela : Ellul mais aussi Illich.<br /> <br /> Le progrès, sa religion, est souvent le cache sexe des puissants face à ceux qui refusent de savoir...
Répondre
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